Ils venaient seuls. Des hommes essentiellement. La plupart issus de la même vallée piémontaise du Nord de l’Italie. « Au départ, c’est la faim et le rêve d’une vie meilleure qui, pour certains, les mènera jusqu’aux Amériques. Et entre leur village et le port d’embarquement de Marseille, beaucoup ont fait étape, à partir des années 1870, à La Seyne, sans en repartir », explique Philippe Di Somma, ancien directeur de la Kedge design School de Toulon. « On dit souvent que l’immigration italienne est née des chantiers navals, poursuit le passionné d’histoire locale. C’est en partie faux, car la plupart à leur arrivée sont des travailleurs agricoles », précise-t-il. La Provence rurale manque en effet de bras.
Mais à La Seyne, l’essor de l’industrie navale happe ces immigrés italiens qui vont s’installer à proximité immédiate des chantiers : « Dans le quartier des Mouissèques et autour de la Place de la Lune, alors insalubres et marécageux ». Une époque où, concomitamment, on leur doit la construction de la corniche voulue par Michel Pacha : « Les Italiens démontrent alors leur qualité de maçons. Au gré de leur ascension sociale, ils vont d’ailleurs construire eux-mêmes leurs maisons dans les campagnes de Coste Chaude ou de Brémond ».
Débutée sous la IIIe République, quelques années après la naissance de l’Italie, cette émigration va se poursuivre jusqu’en 1945, au fil des conflits du XXe siècle : « Il ne faut pas oublier qu’en 39-40, l’Italie est un pays ennemi, ce qui rend la période délicate pour ces migrants. L’arrivée au pouvoir de Mussolini, en 1923, génère son lot de réfugiés politiques, qui, sous l’occupation italienne de 1941-1943, conduit nombre d’entre eux à rejoindre les maquis de la Résistance (NDLR : Le dictateur cherche alors à rapatrier les immigrés en les dénonçant à la Police française) ».
C’est donc par les armes et par le sang qu’un certain nombre d’Italiens de La Seyne deviennent français. Mais aussi par un processus d’intégration, beaucoup plus long. « Le travail en a été le premier facteur. L’ascension sociale s’est réalisée des chantiers navals à la reprise d’un commerce ou la création d’une entreprise. L’école s’est, pour sa part, occupée des enfants nés du regroupement familial. D’énormes efforts ont été consentis dans les familles où il n’était pas rare qu’on interdise l’emploi de l’italien pour que les enfants réussissent ». Autres facilitateurs, la proximité du dialecte piémontais et du provençal, les mariages mixtes « bien que mal vus par la petite et moyenne bourgeoisie seynoise », le catholicisme ou encore les activités associatives : « Bien des Italiens se sont illustrés en football, en rugby. Mais aussi dans la musique en amenant la tradition du bel canto à la Philharmonique », conclut Philippe Di Somma.
« Ciao Italia, buongiorno La Seyne ! »
Une conférence de Philippe Di Somma pour Les Amis de La Seyne ancienne et moderne
Auditorium du collège Paul Eluard
Lundi 13 décembre à 17 heures
L’héritage culinaire
Polenta, pâtes, pizza et cade. Le quatuor culinaire italien est présent aux quatre coins de la ville. « La cade est une invention gênoise du nom de farinata (NDLR : farine de pois-chiche). Elle devient socca à Nice, panisse à Marseille, calentica au Maghreb et cade (NDLR de l’italien calda ! chaud) à La Seyne », raconte Philippe Di Somma.
Les expressions
Des mots familiers d’origine italienne perdurent dans l’expression des Seynois de toutes origines. « Fache de », « Tête de » en français, est un juron répandu. De même « A chidenti ! », « Accident ! », est utilisé lorsque survient l’inattendu. Enfin, un « Tchapacan », personne qui attrapait les chiens errants, désigne un bon à rien.
L’urbanisme
“Quel plaisir de se retrouver ici, dans ce petit coeur historique bâti par des Italiens”. Le jour du lancement du centre-ville sans voiture, madame le maire Nathalie Bicais plaidait pour le « retour du bien-être, de la dolce vita à l’Italienne avec un corso (NDLR : cours) reliant le port au centre ». Philippe Di Soma précise que « dans les villes italiennes, le corso est le lieu de la passeggiata, promenade d’avant ou d’après les repas du week-end. On prend le temps de flâner, de séduire, de discuter. Un peu comme le dimanche matin à La Seyne quand on descend le marché ».