Devoir de Mémoire : Luna invite Ginette Kolinka

Après avoir lu « Retour à Birkenau » de Ginette Kolinka, Luna Alvarez en classe de troisième aux Maristes lui envoie une lettre et un courriel pour l’inviter à témoigner auprès de ses camarades. A 98 ans, la rescapée d’Auschwitz-Birkenau et de Bergen-Belsen accepte. Mardi 4 janvier, elle donnait une conférence devant 350 élèves de l’institut Sainte-Marie et du collège Paul-Eluard au casino Joa.

Quand Luna termine « Retour à Birkenau » de Ginette Kolinka, elle est bouleversée par le témoignage de la rescapée des camps de la mort. «  J’ai été tellement touchée par ce livre, raconte-t-elle, que je voulais partager son histoire avec mes camarades. Je lui ai donc envoyé une lettre et un mail pour l’inviter, sans vraiment y croire. Mais elle a accepté. » Soutenue dans sa démarche par Marie-Christine Jolivet, la directrice des Maristes, une conférence est organisée mardi 4 janvier au casino Joa en coopération avec la mairie. De son côté, la directrice invite le collège Paul-Eluard à également participer à la conférence. Le principal Nicolas Pouzeau était ravi de cette invitation, tant les témoignages de rescapés encore vivants de nos jours deviennent de plus en plus rares. Et celui de Ginette Kolinka est d’autant plus précieux qu’à 98 ans, elle a bon pied, bon œil et que son humour est aussi percutant que son histoire est bouleversante.

Luna Alvarez

Au total, 350 élèves des Maristes et du collège Paul-Eluard ont donc pu assister aux trois heures de témoignage détaillé de la rescapée du camp d’extermination de Birkenau, du camp de concentration d’Auchwitz et du camp de travail de Bergen-Belsen, d’où elle a été libérée par les Anglais le 15 avril 1945. Elle pesait 26 kg.

« Que l’oubli ne triomphe jamais ! »

Ginette Kolinka et Nathalie Bicais

Avant de donner la parole à Ginette Kolinka, Nathalie Bicais, maire de La Seyne-sur-Mer, lui a souhaité la bienvenue et l’a chaleureusement remerciée d’avoir bien voulu faire un détour à La Seyne-sur-Mer dans sa tournée de sensibilisation à travers les collèges et lycées de France. « C’est une réelle émotion qui s’empare de nous aujourd’hui. Je suis particulièrement honorée de vous accueillir sur le chemin de la mémoire de la Shoah. Vous avez trouvé la force de raconter votre histoire. Vous défendez les valeurs humanistes de la République pour que l’oubli ne triomphe jamais. Pour avertir les jeunes générations, l’histoire a besoin de relais vivants. Aussi je veux rendre hommage à la femme d’exception que vous êtes. L’école est dépositaire de votre histoire, et vous comptez sur notre jeunesse pour que la haine disparaisse. Je vous en remercie. »

« Ma famille a caché un être humain »

Luna Alvarez et Ginette Kolinka

Emue et à la fois fière de l’aboutissement de son projet, la jeune Luna a introduit le témoignage de Ginette Kolinka avec ces mots : « J’espère que son témoignage résonnera en vous comme il a résonné en moi. Nous devons parler et nous souvenir d’eux. Ma grand-mère n’avait que 6 ans quand Ginette Kolinka a été arrêtée par la Gestapo en 1944. Mais ma famille n’a pas hésité à cacher un juif, un être humain. Le mot merci n’est pas assez fort mais c’est le seul que j’ai. »

« On va arrêter les mercis, lui répond-elle, vous aviez sûrement des choses importantes à faire ce matin mais vous êtes là, c’est à moi de vous remercier. Je suis la seule de ma famille à être revenue des camps. Hitler détestait tous les juifs d’Europe, pour lui on n’était pas des gens normaux. Le camp de Birkenau était le seul camp nazi à n’être qu’un camp dit d’extermination. Alors qu’à Auschwitz, il y avait aussi des résistants qui ont construit Birkenau, à quelques kilomètres de là ».

Etoile jaune et tampon « Juif »

« Son objectif était de tuer tous les juifs d’Europe. Oui mais comment les reconnaître ? En Allemagne, il impose que les juifs portent un panneau. Les magasins dont les propriétaires étaient juifs devaient également afficher leur appartenance à la communauté avec une étoile juive peinte sur leur vitrine. Dans la France de Pétain, c’était aussi la règle. Mais en France, on devait aussi se faire référencer au commissariat. Et sur notre carte d’identité, un tampon « Juif » était apposé. On devait aussi porter l’étoile jaune sur nos vêtements pour être plus facilement identifiables. Mais mon père, qui avait fièrement combattu pendant la Grande guerre pour l’Armée française n’avait pas peur, et même si on lui conseillait vivement de partir en zone libre depuis 1940, nous sommes restés à Paris jusqu’en 1942. Mon père confectionnait des imperméables. D’un coup, il n’a plus eu le droit de travailler. En effet, la loi dite « second statut des juifs » parue au Journal officiel le 14 juin 1941 imposait entre autres, que les juifs n’avaient plus accès à la fonction publique et ne pouvaient plus travailler avec des non-juifs. Ce qui était le cas de mon père qui avait des ouvriers non-juifs à la confection. De mon côté, je n’avais plus le droit de briguer des études supérieures. Nous avions seulement le droit d’aller jusqu’au baccalauréat, pas plus. »

Fuir en zone libre

« Un jour, un homme qui travaillait à la préfecture de Paris est venu nous prévenir que nous avions été dénoncés comme communistes. Que nous allions être d’autant plus surveillés. Il nous a encore vivement conseillé de partir en zone libre. Mon père a donc décidé qu’on devait s’enfuir. On a fait faire des faux papiers d’identité grâce à des amis qui nous ont prêté leur nom. Pour passer la frontière, mon père nous a séparés en quatre groupes. On devait tous se retrouver à Aix-les-Bains, d’où on avait prévu de partir rejoindre de la famille en Avignon. On est restés trois mois là-bas. Mais l’argent commençait à manquer. Du coup, on nous a conseillé d’aller à Vedène à côté d’Avignon où une manufacture cherchait des employés. Le maire d’Avignon nous a trouvé une maison. Nous y sommes restés jusqu’au 13 mars 1944 ».

« Dénoncés comme juifs »

« Ce matin-là était le premier jour où on commençait à sentir la chaleur du printemps. A la pause déjeuner, j’ai rejoint mon père et mon petit frère à la maison pour manger. Ma soeur, ma mère et ma cousine étaient restées à l’usine car on se relayait pour la pause déjeuner. A la maison, il y avait trois messieurs en manteau et chapeau de cuir. Ils nous ont signifié que nous avions été dénoncés comme « juifs » et qu’ils devaient vérifier « ça ». Ils ont accompagnés mon père dans la cuisine qui par pudeur, ne voulait pas se défroquer devant nous. Ils ont vu qu’il était circoncis. On a été jetés dans une Traction, puis mis en prison. J’ai toujours cru que ma mère, ma sœur et ma cousine, restées à l’usine, avaient été elles-aussi arrêtées. Mais j’ai appris avec bonheur à mon retour, qu’elles avaient été recueillies par des Justes dans un petit village ».

« 10 jours à Drancy »

Le camp de Drancy en région parisienne était un camp de transfert vers les camps de la mort.

« Paradoxalement, je n’avais pas peur. Je savais que j’allais dans un camp de travail, que j’allais travailler et voilà tout. Je me suis retrouvée avec mon père et mon petit frère au camp de Drancy pendant 10 jours. Je me souviens que je ne savais pas quoi lui dire. A cette époque, on ne parlait pas à son papa comme on le fait aujourd’hui. Le 13 avril, on nous a embarqués dans des autobus. Dans chacun d’eux, il y avait un militaire allemand et un gendarme français. Nous, tout ce qu’on voulait c’est ne pas être séparés. »

« Agglutinés dans un wagon de marchandises »

« On est arrivés dans une gare, je ne me souviens plus laquelle. Sur le quai, il y avait un train de marchandises. Je me suis dit : un autre train de troisième classe va arriver pour nous. Mais non. On nous a jetés dedans. On nous poussait. Il fallait monter vite. Puis, on est agglutinés dans ce wagon obscure car les petites fenêtres sont verrouillées par des volets en bois. Il y avait un peu de paille sur le sol. On a voyagé trois jours et trois nuits. Sans manger, sans boire. Avec un seau dans un coin pour faire nos besoins. Je ne sais pas comment j’ai supporté ce voyage. Quand les portes se sont enfin ouvertes, j’ai senti cet air glacial entrer dans le wagon. Je ne savais pas où j’étais. Et même s’il faisait très froid, ce petit air était agréable à côté de la puanteur qui se dégageait du wagon. Mais dehors, sur le quai, ça hurlait en Allemand. « Pour les fatigués, il y a des camions », nous disaient-ils. J’ai donc incité mon père et mon petit frère à le prendre. J’ai su un peu plus tard que je les avais envoyés à la mort. Car le coup “des camions pour les fatigués” étaient pour les nazis une forme de premier tri entre ceux qui mourraient dans les chambres à gaz et ceux qu’ils conserveraient pour travailler. »

« 78 599 c’est le numéro sur mon bras »

« Birkenau, où j’étais internée avaient des baraquements à perte de vue. Entourés de barbelés et de miradors d’où des nazis armés nous surveillaient et nous tiraient dessus si on dépassait une ligne tracée au sol. Ça sentait la fumée partout. On nous a dirigées vers un bâtiment et on nous a demandé de nous déshabiller. Nues. J’étais très pudique, je crois que c’est la pire des choses qu’on m’ait demandé de faire. Ce jour-là, j’ai appris qu’on avait tous des corps différents. Puis on m’a tatouée. 78 599, c’est le numéro sur mon bras. Pendant des années après ma libération, je ne voulais pas le montrer. Sur les marchés où je travaillais, longtemps après la guerre, un jour, une dame l’a aperçu et m’a dit « vous êtes comme moi, vous ne vous souvenez pas de votre numéro de téléphone alors vous l’avez écrit sur votre bras. ». A ce moment-là, je n’avais plus jamais parlé des camps, à personne. Je n’en ai pas parlé pendant 40 ans. Mais, ce jour-là, j’ai senti que la mémoire de la Shoah allait peut-être disparaître. »

« Simone Veil m’a offert une robe »

Emue, silencieuse, Simone Veil visite le camp d’Auschwitz à l’occasion du 60ème anniversaire de la libération du camp d’extermination.

«Nous dormions à six tête-bêche dans une coya : des lits superposés en bois remplis de copeaux de bois d’à peine un mètre de large. Je ne me suis jamais lavée pendant tout mon internement qui a duré un peu plus d’un an, ni à Birkenau, ni à Bergen-Belsen. Nous n’avions le droit d’aller aux latrines que deux fois par jour et toutes ensemble. Nous n’avions pas de sous-vêtement non plus. Grâce à Simone Veil, j’ai récupéré un peu d’humanité quand elle m’a donné une robe. Je suis restée à Birkenau jusqu’en novembre 44. Ce jour-là, je ne suis pas allée travailler. On m’a transférée dans un autre camp de travail : Bergen-Belsen. J’ai eu la chance d’être envoyée travailler dans une usine. J’ai donc eu le droit de porter une robe rayée. On a été mieux traitées par les contre-maîtres de l’usine. Mais surtout par les ouvriers qui voyaient qu’on se nourrissait grâce à la poubelle du réfectoire, alors ils nous apportaient un peu de nourriture, en cachette des kapos. Un soir, quand on était aux latrines (seul endroit où on pouvait un peu communiquer entre nous), on a appris que les troupes alliées étaient en train de libérer des camps. Quelques jours plus tard, les troupes anglaises nous délivraient. »

40 ans de silence

Latrines à Auschwitz-Birkenau (photo prise en 2014).

« J’ai eu la chance de retrouver ma famille à Paris. Car ma mère, ma soeur et ma cousine avaient été recueillies par des Justes. Mais je n’ai pas pu en parler pendant 40 ans. Un jour, le président de l’association pour la mémoire de la Shoah me demande un service : remplacer une rescapée des camps qui devait donner une conférence dans une école, au pied levé. J’ai accepté non sans mal. Mais ma parole a été libérée. Depuis, je ne cesse de témoigner même si je demeure d’un naturel timide. »

Athée et résiliente

C’est avec ces mots que Ginette Kolinka terminait son histoire avant de donner la parole aux élèves pour une série de questions. Parmi elles, une question sur sa foi. « Votre foi a-t-elle été ébranlée par l’enfer que vous avez vécu ? » Réponse : « Je suis athée. Dans ma famille personne ne pratiquait la religion. J’étais juive, mais je ne savais même pas ce que c’était. Mais si Dieu existait, il n’aurait pas permis que tout cela existe ». D’autres questions ont également porté sur la résilience et le pouvoir de se remettre de tout, même du pire. Ginette Kolinka a quitté le casino Joa vers 13h, en même temps que 350 élèves, qui ont pu entendre une des dernières rescapées des camps de la mort. A 98 ans, Ginette Kolinka a repris son bâton de pèlerin, direction Bordeaux où d’autres élèves l’écouteront encore et encore. Ils pourront à leur tour exercer leur devoir de mémoire et raconter, raconter, raconter. L’oubli n’est pas une option.

 

 

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