Rappelons que c’est du sommet de la colline Caire que Bonaparte se révéla à la patrie. En effet, dans la nuit du 16 au 17 décembre 1793, l’armée républicaine conduite par le général Dugommier et dans laquelle se trouvait le chef de bataillon Bonaparte, commandant en second l’artillerie, attaqua la redoute Mulgrave. Les troupes coalisées (Anglais, Espagnols, Piémontais, Sardes…) ont en effet repéré dès leur arrivée cet emplacement stratégique. La redoute au sommet du mont Caire présente des imperfections remarquées par Bonaparte lors d’une inspection de la batterie des Hommes sans peur, postée à environ 500 mètres à vol de boulet. Le militaire s’est demandé pourquoi les Anglais n’avaient pas poursuivi le renfort de la structure, faite de terre et de bois. Pour autant, elle reste un morceau de choix dans la défense des coalisés et sa conquête s’annonce ardue.
L’assaut
Lorsque les troupes républicaines parviennent au sommet d’abord par la gauche, elles entament de longs va-et-vient, des moments de charges farouches jusqu’aux parapets, puis des replis. L’ennemi est vaillant et les repousse avec force. Il sait que cette fortification est sa protection mais elle deviendrait son tombeau si les Français venaient à prendre le dessus. En mouillant la poudre, la pluie rend inutilisable les fusils. Les combats, sanglants, se font à l’arme blanche. Pique, baïonnette ou sabre : un seul coup porté et c’est une blessure ou la mort. L’attaque par la droite, au nord, est plus efficace. D’abord parce que la pente est plus douce, ensuite parce que les boulets tirés par les canons ont éventré les planches et créé quelques passages. De plus, la redoute est équipée de grosses pièces d’artillerie, parfaites pour les coups au loin sur les batteries françaises, mais totalement inopérantes sur des troupes à l’assaut. Par chance, l’ennemi a négligé de s’équiper en nombre de pièces d’artillerie légère. Une fois parvenus dans la place, les soldats de l’an II de la République se dispersent et se
jettent avec des cris effroyables sur tout ce qui possède une âme. Et c’est une danse macabre que de voir ces corps-à-corps évoluer dans la pâleur humide de la nuit, accompagnés d’ordres prononcés en anglais, en italien, en espagnol et en français. Les artilleurs de la batterie des Hommes sans peur rejoignent leurs camarades, avec sans doute une motivation supplémentaire puisqu’ils se sont fait canarder allègrement durant des semaines. Avant l’aurore, les combats s’achèvent. Un silence, lourd, s’invite quelques minutes. Puis, parviennent les râles des blessés, parmi les morts qui se comptent par milliers. La bataille terminée, l’excitation des plus vaillants laisse la place au froid et à la faim. D’autres bataillons continuent d’arriver et ce n’est plus qu’en français que l’on s’exprime. Dugommier est blessé à l’épaule et au bras. Bonaparte, qui avait vu son cheval mourir sous lui peu avant, tâte sa vilaine blessure. Un Anglais lui a donné un coup d’esponton : la demi-pique au bout d’une lance lui a causé une méchante blessure à la cuisse. Le sang de la victoire, proche, coule comme de l’or.
Balaguier, puis l’Eguillette
La redoute Mulgrave prise, Dugommier fait jouer les tambours pour rapatrier les troupes en son sein, tandis que Bonaparte a demandé que l’on tourne deux pièces d’artillerie et les obusiers vers la mer. Contrairement à ce qui vient à peine de se dérouler au sommet du mont Caire, les forts de Balaguier et de l’Eguillette ne demanderont pas tant d’efforts et de sacrifices. Les coalisés ont déserté les lieux pour entamer une retraite vers la mer. Comme souvent, en effet, sous nos latitudes, le vent a changé d’orientation et souffle maintenant de l’ouest. C’est une aubaine pour ces mastodontes de bois et de toiles qui peuvent s’ancrer dans la grande rade, hors de portée de l’artillerie. Lorsque les troupes républicaines entrent dans Balaguier, elles découvrent le chaos, indice de la panique de l’ennemi : beaucoup de matériels abandonnés et les animaux de traits passés au fil de l’épée.
La retraite en flambant
Les coalisés n’attendent pas l’aube pour mener une politique de la terre brûlée : ce qui ne peut être emporté doit être détruit. Une partie de la flotte est incendiée ainsi que les stocks de bois de l’arsenal servant aux charpentes des navires. Les opérations sont dirigées par Sydney Smith, officier anglais galvanisé par les destructions qu’il ordonne. Les quelques soldats qui l’accompagnent avec des torches mettent le feu à tout ce qui peut brûler. On peut suivre leur cheminement au gré des foyers rougeoyants. Quelques espagnols leur emboitent le pas et embrasent une paire de frégates gorgées de poudre et de munitions. Les explosions qui en résultent ajoutent la désolation au drame de la destruction. L’affolement des militaires se joint à la frayeur des incendies et à l’effroi des Toulonnais. Quatorze navires français seront détruits et quatre emportés. Plus tard, Bonaparte, devenu l’empereur Napoléon 1er , décrira ainsi la scène : « En pleine nuit, l’horizon à plusieurs lieues était tout en feu. Il faisait clair comme le jour ; le spectacle était sublime, mais déchirant ». Les combats sont féroces et les pertes humaines importantes mais le siège de Toulon est levé. C’est donc à cette commémoration que Les Journées Bonaparte vous convient du 26 mai au 4 juin 2023 dans les forts Napoléon et Balaguier, avec un spectacle Son et Lumière samedi 3 juin dans l’anse de Balaguier.