Lycée Beaussier : les anciens des “Chantous” témoignent

Des lycéens de Beaussier inscrits en cours de géopolitique participent à l’opération Jeunes en librairie. Avec Guillaume Bourgain, leur professeur d’histoire/géographie, ils ont décidé de recueillir les témoignages des anciens des chantiers navals avec l’aide de l’autrice seynoise Lucile Bordes qui leur fait travailler le style du “journalisme littéraire”. Le 14 janvier dernier, ils ont interviewé cinq membres du CRCN*.

Dans le CDI du lycée Beaussier ce mardi 14 janvier au matin, les lycéens ne cachaient pas leur impatience d’enfin rencontrer les anciens des chantiers navals de La Seyne. Leur professeur d’histoire/géographie Guillaume Bourgain leur a proposé de travailler sur un recueil de la mémoire vive des anciens des Chantiers navals seynois dont l’activité a cessé brutalement en 1989.

Pour ce faire, il a demandé à l’autrice seynoise Lucile Bordes de les aider. L’écrivaine, par ailleurs enseignante, est en effet une spécialiste du style “journalisme littéraire” qu’elle a beaucoup pratiqué dans les oeuvres qu’elle a publiées depuis 2012(**).

“Le journalisme littéraire, c’est partir du recueil d’un témoignage réel que je peux ensuite romancer pour lui donner plus d’épaisseur. Par exemple pour mon roman “86, année blanche” qui aborde la catastrophe de Tchernobyl, un témoin m’assurait qu’il ne parvenait plus à dormir depuis l’explosion de la centrale. Je l’ai donc imaginé faire du vélo toutes les nuits pour apaiser ses tourments et tenter de trouver le sommeil.

Cet atelier d’écriture journalistique organisé pour un groupe de lycéens en 1ère qui suit les cours de géopolitique de Guillaume Bourgain est labellisé “Jeunes en librairie” par l’Éducation nationale. Le projet a par ailleurs obtenu la bourse du Centre national du livre intitulée “résidence d’auteurs à l’école”.

“On n’a pas construit le Titanic à La Seyne ; aucun navire construit ici n’a coulé !”

Jean-Claude Guisti, Alain Bart, Guy Bertolucci, Régis Buisson et Jean-Luc Trinel.

Après avoir chaleureusement accueilli les cinq anciens des chantiers navals seynois, les lycéens leur ont donné la parole pour un tour de table. “Il s’agit maintenant de recueillir la matière brute pour votre futur récit”, introduisait Lucile Bordes.

Jean-Claude Guisti, technicien de contrôle de 1971 à 1989, président du CRCN

“Pendant la construction d’un navire, tout est contrôlé en permanence. Chaque tôle, chaque rivet, chaque vis sont répertoriés sur les plans des ingénieurs. Chaque étape est contrôlée et recontrôlée pour qu’elle soit conforme au plan initial. Je suis entré à l’âge de 14 ans, j’ai gravi les échelons. Au sein des chantiers, il y avait une grande solidarité entre nous. Quand un de nous avait du mal avec une tâche, les autres l’aidaient toujours. Mais cette solidarité s’interrompait soudainement à la période des promotions. Notre métier était difficile, encore plus pour les étrangers qui étaient employés à la journée, sans les protections sociales ni les avantages du comité d’entreprise dont nous jouissions. Quant aux femmes, elles étaient peu nombreuses et occupaient des postes de couturières ou de secrétaires par exemple. Mais en 150 ans d’histoire, pendant les deux guerres mondiales, elles ont pris le relais dans les usines et aux chantiers.”

Alain Bart, ajusteur de 1967 à 1989

“J’ai fait l’école d’apprentissage des chantiers navals. Selon nos notes, on choisissait le métier qu’on voulait exercer. Les premiers avaient le choix, les derniers prenaient ce qui restait. J’ai choisi ajusteur et je travaillais à l’atelier mécanique. À la fermeture des chantiers, en 1989, on a réussi à racheter l’atelier à 50 personnes. Mais en 2002, un investisseur l’a racheté et l’a dépecé pour déplacer le matériel, les machines et les outils de production. Mon métier d’ajusteur ?, répond-il à une question d’un lycéen. Pour schématiser, c’est assembler des pièces d’un navire les unes avec les autres. On avait des check-lists : toutes nos tâches étaient répertoriées, contrôlées et recontrôlées.”

Guy Bertolucci, traceur et agent de maîtrise de 1961 à 1989

“Je suis entré aux Chantiers navals du midi en 1961 (NDLR : les vestiges des Chantiers navals du midi sont encore visibles sur la corniche Bonaparte à proximité du fort Balaguier). J’ai commencé comme traceur. On travaillait à deux. On nous attribuait le plan d’une partie du navire que nous devions retranscrire en taille réelle. On fabriquait des gabarits de forme en bois qui étaient en quelque sorte nos mannequins. Ces derniers partaient ensuite chez les formeurs de l’atelier d’usinage qui les reproduisaient en véritables pièces du futur bateau. Avec l’expérience, je suis devenu agent de maîtrise, à savoir que j’étais responsable de la production de toute une partie du navire“.

Régis Buisson, tuyauteur de 1972 à 1986

“Je suis entré comme apprenti chaudronnier/tuyauteur. Il faut savoir que dans un navire il y a autant de tuyaux qu’il y a de fils électriques. Je suis de Hyères, quand j’ai mis les pieds pour la première fois à La Seyne-sur-Mer, devant la Porte des chantiers, j’ai eu peur. J’ai failli repartir direct à Hyères avec le Car étoile. Mais je suis resté et pour moi, les chantiers, ça a été l’école de la vie.”

Jean-Luc Trinel, ajusteur de 1972 à 1989

“Comme vous pouvez peut-être l’entendre à mon accent, je suis du Nord. Quand j’étais apprenti, je suivais les cours du soir d’ajusteur. J’ai fait les démarches pour passer le concours de la SNCF et je suis venu en vacances à La Seyne. Les chantiers recrutaient. Et je ne suis pas reparti dans le Nord. Il faut savoir que les chantiers c’était dangereux. On est fiers d’avoir construit des navires qui sont encore en service. Comme La Somme par exemple. La Marine nationale a prolongé sa durée de vie de 5 ans encore, ça prouve la qualité des savoir-faire des chantiers navals seynois. On n’a pas construit le Titanic à La Seyne ; aucun navire construit ici n’a coulé !”.

Un podcast, une rencontre et une revue

Guillaume Bourgain, professeur d’histoire/géographie au lycée Beaussier.

Ces cinq témoignages recueillis, les lycéens ont pu interroger les anciens afin de nourrir leur prochain récit. “La restitution du projet se fera de trois manières, explique Guillaume Bourgain. D’une part une rencontre avec les anciens des chantiers navals à la librairie Charlemagne de La Seyne, aussi partenaire de ce projet. D’autre part, la réalisation d’un podcast dans le cadre de la Web radio du lycée avec une interview de Lucile Bordes. Et enfin, une revue en ligne sera publiée sur le site du lycée.”

(*) Centre de ressources sur la construction navale
(**) 2012 : Je suis la marquise de Carabas aux éditions Liana Levi. 2014 “Décorama aux éditions Liana Levi. 2016 : 86, année blanche, aux éditions Liana Levi. 2022 : Que faire de la beauté ? aux éditions Les Avrils. 2022 : Aurélie et autres femmes sans nom aux éditions Thierry Marchaisse
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